Le gardien des livres [Selene Blue - Aiji Yuugure]

Puisqu’elle avait fini ses cours, Selene était désormais en chemin vers son lieu de repos favori : la bibliothèque. Comme à son habitude, elle y resterait sans doute jusque sa fermeture, avant de rejoindre sa chambre pour étudier. Lorsqu’elle arriva dans la pièce labyrinthique et surchargée de livres en tous genres, elle sourit doucement et se mit à marcher lentement entre les rayons. Elle avait envie d’une lecture tranquille, ludique, et non pas scolaire. Que choisir ? Science-fiction ? Polar ? Romance ? …Non, pas romance.

Tandis qu’elle cherchait, elle remarqua du coin de l’œil la présence de nombreuse jeunes filles. Elles semblaient être moins âgées qu’elle, et étaient sans doute en seconde ou une classe équivalente. Leur présence l’étonna : la bibliothèque n’était pas un lieu très prisé, surtout par les plus jeunes, et encore moins par des bavardes comme elles qui piaillaient joyeusement en riant et en lançant des regards peu discrets à une personne qu’elle ne voyait pas. Elle soupira : le peu de monde qui venait ici avait eu pour conséquence une surveillance moins ferme, et à cette heure, elle doutait que quelqu’un soit encore présent pour les rabrouer. Lentement, elle s’approcha du groupe. Déjà, la voyant arriver, les filles lui lancèrent un regard mauvais, mais bientôt remplacé par une sorte d’air impressionné. Selene était grande, et possédait un physique taillé. Et, surtout, son agacement se reflétait dans ses prunelles, qui flamboyaient froidement vers les bavardes.

- Un peu moins fort, les filles, s’il vous plait. Vous n’êtes pas à la plage.

Selene avait parlé d’une voix grave et posée, et se détournait déjà tandis que le groupe s’éloignait en baissant le ton. Son attention se reposa sur les livres qui l’environnaient. Elle aperçut soudain un dos qui lui plaisait, et tendit la main pour l’attraper. Cependant, au même moment, elle sentit une présence à sa droite et tourna brusquement la tête, se retrouvant nez à nez avec un garçon aux cheveux blancs, un peu grand qu’elle mais bien plus fin. Il avait la main tendue vers l’ouvrage qu’elle allait prendre. Craignant de l’avoir quelque peu apeuré à cause de sa réaction légèrement farouche, elle recula d’un pas et baissa le bras.

- Ho, désolée, tu peux le prendre si tu veux, dit-elle.

Le garçon aux cheveux blancs écarquilla les yeux en sursautant lorsque leurs regards se croisèrent. Etait-elle si effrayante que ça ? Il ne se passait pas un jour sans qu’elle ne se pose la question. Entre les regards apeurés des filles de tout-à-l’heure et la réaction de panique du jeune homme, elle commença sérieusement à penser qu’elle avait de l’avenir dans le métier de bête de foire. Il recula en même temps qu’elle, toujours fébrile, avant de prendre le livre qu’elle lui avait proposé. Puis il fit volteface, et voulut partir. Cependant, Selene voulut le rattraper pour deux raisons : l’une, la plus simple, était qu’elle souhaitait savoir s’il lirait l’ouvrage sur place, afin de pouvoir l’emprunter le cas échéant. L’autre, c’était qu’il semblait si terrifié à sa vue qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de vouloir le rasséréner un peu.

- Attends… ! Tu comptes l’emprunter ou le lire ici ?

En quelques, elle fut de nouveau à sa hauteur, et, tentant de ne pas avoir l’air trop imposante, elle ajouta :

- Tu sais, pas besoin de t’enfuir comme ça, je n’ai jamais mangé personne.

Alors qu’elle lui parlait, elle remarqua que les mains du garçon, qui tenaient le livre, étaient abimées, et striées de cicatrices. Elle se gronda intérieurement de toujours devoir remarquer ce genre de détail : son sens de l’observation l’amenait à voir des choses dont elle se serait bien passée de voir. Ces cicatrices lui en rappelaient d’autres, et chemin mental se faisant, elle en vint à poser sa main sur sa nuque, d’un geste discret. Le souvenir avait beau dater de plusieurs années, il était toujours aussi cuisant, aussi mordant. Elle se perdit un instant dans ses pensées, le regard dans le vague, avant de se reprendre et de regarder à nouveau son interlocuteur avec un léger sourire.

Le garçon répondit d’une voix timide qu’il comptait le lire sur place. Tant mieux, elle n’avait qu’à trouver de quoi s’occuper en attendant, un petit livre ferait l’affaire. Le garçon ne semblait décidément pas à l’aise, la fixant d’un regard inquiet. Elle se doutait que leur différence de taille et de musculature y jouait pour beaucoup. Ses muscles avaient beau ne pas être saillants, ils étaient très dessinés et attiraient l’attention, voire la méfiance, mais une telle crainte était pour le moins inhabituel.

Il acquiesça timidement à sa remarque, mais elle vit bien qu’il n’osait pas la contredire. Son regard semblait déterminé à se poser sur tout sauf elle, et il semblait chercher quelque chose dans les rayons. Attendait-il quelqu’un ? Craignait-il quelqu’un ? Soudain, il tendit la main vers un livre qu’il lui donna d’un geste raide, lui proposant en bégayant d’attendre avec celui-ci.

- Heu… Merci, dit-elle en prenant l’ouvrage. Oh, 20 000 lieues sous les mers ! Je voulais justement le lire un de ces jours !

Elle sourit au jeune homme en signe de remerciement et ajouta :

- Tu pourras me prévenir quand tu l’auras fini ? lui demanda-t-elle en montrant l’ouvrage qu’il avait à la main. Je voudrais l’emprunter.

Tandis qu’elle allait se détourner et gagner une place où elle pourrait en paix, ne souhaitant pas importuner plus le garçon, elle aperçut le groupe de filles qui était revenu et les fixaient maintenant de loin en chuchotant d’un ton enthousiaste. Les fixaient ? Non. Le fixaient. Peut-être était-ce de ces filles qu’il avait peur, après tout. Les adolescentes sont des créatures terrifiantes. Elle fronça les sourcils, se demandant ce qu’elles lui voulaient. Mais elle n’osa pas lui demander, ne voulant pas aggraver son malaise.