L’après-midi avait été gorgé de chaleur, tout comme le pauvre chemisier de soie blanche que tu avais décidé de porter ce matin. La transpiration faisant coller le tissu à sa peau trop pâle, trop tendre, souffrant en silence au soleil. Tu n’avais eu de cesse de te passer de la crème dès que l’occasion se présentait, dès qu’une pause t’était permise. L’apprentissage de ton pouvoir était également à la source de la chaleur qui te prenait à la gorge et qui faisait rosir avec élégance tes pommettes angéliques. Mais aujourd’hui, tu avais d’autres plans en tête que de rester angélique, sourire béat aux lèvres, pensées malsaines dissimulées au plus profond de ta petite cervelle en surchauffe.
Amyrthée Neith
Son nom t’était parfaitement inconnu. Il ne te semblait même pas l’avoir déjà croisée et pourtant, pourtant, le document auquel tu avais eu accès en farfouillant –grand merci à tes autorisations de vice-présidente – la notait au-dessus de toi. Quelle rage dévorante, quelle jalousie flamboyante avait alors fait ressurgir tes plus noires pulsions. Toi, Célestine Margot Suzanne Carolina De Mésanger, tu n’étais que seconde de ta classe derrière une moins que rien, une inconnue : derrière personne.
Et s’il était naturel que quelqu’un soit second –il en fallait- ça ne pouvait certainement pas être toi.
Tu étais allée à tes cours de l’après-midi sans rechigner, pianotant sur ton portable avec une vigueur toute particulière, à la recherche de cette petite tête trop bien remplie pour son propre bien. Ton courroux ne faisait qu’augmenter alors que les retours à tes questions ne se faisaient pas assez satisfaisants à tes yeux. « Jamais entendu parler. » ou encore « Elle est dans notre classe ? » sans oublier –celle-là lui avait tiré un soupir d’exaspération- « Ah oui, une albinos, là ? » Personne n’était-il donc assez compétent pour subvenir à tes besoin ? L’après-midi passa avec lenteur, chaleur et agacement lorsqu’enfin…
« Amyrthée ? Ouais j'vois qui c’est. Une petite aux cheveux blancs. Elle passe son temps à la bibli, j’crois. »
Je la tiens.
Quelques minutes après le cours, tu t’étais littéralement ruée à la bibliothèque. Tu y étais déjà venue à plusieurs reprises y emprunter quelques livres sans jamais t’éterniser. L’ambiance y étais trop morne, trop silencieuse, trop rustre. Etudier dans ta chambre était autrement plus agréable !
Trouver ta proie –enfin Amyrthée- fut chose aisée : Il n’y avait que la bibliothécaire dans les locaux, avec une petite tête sage dans le fond, aux cheveux blancs comme la neige. Bingo ! Un coup d’œil rapide dans ton reflet, observant la baie vitrée, afin de te réarranger. Il fallait faire impression –bonne ou mauvaise- afin d’obtenir ce que tu désirais. Tu lisse ta jupe lilas, défroisse ton chemisier en t’assurant qu’il se décolle de tes épaules et de ta poitrine, passe une main dans les mèches de tes cheveux pour s’assurer qu’ils étaient toujours impeccable –il l’était, tu t’étais coiffée cinq minutes avant- et tu te souris même dans ton propre reflet, satisfaite. Il est temps d’approcher. La démarche féline, les talons de tes souliers aussi silencieux qu’il est possible contre la moquette du sol, tu t’immobilises dans son dos et chuchote doucement.
« Amyrthée ? Amyrthée Neith ? J’ai à te parler. »
Le sourire que tu lui offres est bien moins angélique que celui à l’attention de ton reflet. Il sonne faux, bien qu’il soit lumineux. Il sonne comme la politesse froide qu’on sert aux inconnus.
Plongée depuis plusieurs minutes -voire même depuis plus d'une heure- dans cet énorme livre de plus de mille pages qui en décourageraient plus d'un, la concernée ne réagit alors pas tout de suite à cette appellation. En effet, lorsqu'elle lisait, Amyrthée avait tendance à s'immerger complètement dans sa lecture au point d'en oublier le lieu dans lequel elle se trouvait mais aussi... Sa propre existence. C'est ainsi que la personne dût sûrement attendre une ou deux minutes avant de voir la jeune Curieuse sursauter et se tourner vers elle, un peu gênée et légèrement perdue.
« Hein?! Quoi?! Amyrthée ? Ah euh oui! Pardon c'est moi! Je suis vraiment désolée... J'étais plongée dans ma lecture et je n'avais pas du tout réalisé! »
Sans méchanceté ni curiosité malsaine, la jeune adulte scruta derrière ses lunettes rondes celle qui lui faisait face, et elle se souvenait à quel point son ton s'était fait faussement gentil. "Autant que son sourire", se dit Amyrthée alors qu'elle-même souriait de manière un peu gênée, mais sûrement beaucoup plus honnête.
« Que se passe-t'il? Cette place était réservée ? J'ai cette petite tendance m'installer partout, alors je comprendrais, si besoin est, je peux toujours bouger ! »
Refermant son livre dans un bruit lourd (bien qu'elle l'ait fait délicatement pour éviter de faire trop de bruit), elle ne prit pas la peine de noter sa page. 342, très exactement... Merci sa bonne mémoire. Et d'ailleurs en parlant de celle-ci... Amyrthée savait déjà qui était son interlocutrice. Déjà parce que son nom était placardé sur la moindre affiche du lycée, mais aussi parce qu'Amyrthée avait comme chaque année pris le temps de retenir chaque tête de sa classe et le prénom qui lui était attribué. Ainsi, elle connaissait tout le monde. L'inverse en revanche, serait sûrement peu probable : personne ne cherchait à la connaître ni à retenir son nom !
Et c'est en cela que malgré toute la bonne volonté de la jeune Curieuse, celle-ci sentait que quelque chose n'allait pas.. Si Célestine de Mésanger venait à sa rencontre, ça n'était pas pour rien. Inconsciemment, l'adolescente ne put s'empêcher de repenser à sa récente mésaventure dans le gymnase. Merci encore à cette jeune femme de l'avoir tirée de là...
Ne restait plus qu'à.. Oh. Maintenant qu'elle y repensait. Amyrthée savait pourquoi la Vice-Présidente du Conseil était là.
