Je finissais plutôt tôt ce jour là, mais je ne suis pas retournée le voir. Je m'étais reposée dans son cabinet, puis je m'étais faufilée et j'avais tout laissé en plan. J'ai gardé l'ordonnance, elle doit traîner quelque part sous mon bureau. Dès fois je m'allonge sur le dos au milieu de ma chambre comme une étoile de mer, et inévitablement mon regard croise le papier froissé entre les plissures de l'obscurité, là sous mon bureau.
Une semaine après, ma santé n'allait pas vraiment mieux. Je dors beaucoup, beaucoup trop et je commence à avoir des absences. Je ne me nourris toujours pas assez et je maigris encore. C'est ma phase d'adaptation je suppose ou bien je sais pas, qu'importe. Tant bien que mal je tiens le coup quand je vais en cours. Dès fois certaines personnes observent avec suspicion mon teint pâle, et j'entends des conversations à voix basse qui parlent de moi. J'ai déjà une réputation de "jeune inexpressive", bizarre et antipathique.
Toujours à errer dans les vastes steppes de ma conscience, je ne fais rien et le temps passe.
Finalement, par ennui et pour provoquer quelque chose dans cet univers vide, je suis retournée au cabinet du doc un soir vers une heure du matin, par effraction. Crocheter des serrures est un vieux truc que j'ai appris dans le gang avec qui je traînais.
Enfant, j'allais parfois dans le cabinet de mon père la nuit, c'était l'endroit de la maison qui me faisait le plus peur. Mais là, je ne ressens rien, à peine un vague frisson, un sentiment étrange de déjà-vu, mais un déjà-vu mort, enterré, déterré et profané des milliers de fois. J'en ai mare d'être si lascive, mon cerveau doit gamberger dans une absence de nutriments pendant que le peu que j'ai réussis à ingérer doit encore flotter sur l'eau des toilettes de ma chambre.
J'ai l'impression d'avoir commencé une nouvelle vie où je suis plus morte encore qu'avant.
Il n'y a personne. Je fais semblant de fouiller un peu. En vérité ça me dégoûte, c'est le dernier endroit où j'aurais voulu aller, mais faut croire que tout ce que je fais n'a aucun sens. Je retrouve le placard avec les tisanes et le sucre, j'ai qu'à m'en faire une. Peut-être qu'en faisant une tisane et en frottant la théière, le doc apparaîtra ?
Dans le trou de la poche de mon sweater à capuche bleu foncé, je sens comme un papier. Je le déplie. J'allume une petite lampe de bureau. C'est l'ordonnance. Je ne me souviens même pas l'avoir pris.
Épuisée, il doit être deux heurs du matin, je me couche dans le lit du cabinet.
Serai-je la première patiente du doc lorsque l'aube viendra ? Mais je crois qu'on est dimanche...
Nappe de plomb sous les paupières.